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vendredi 10 juin 2011

Hobbes et les neocontractualistes

HOBBES
ET LES NÉOCONTRACTUALISMES
CONTEMPORAINS
Il y a indéniablement une actualité de Hobbes en philosophie politique
contemporaine, et celle-ci ne se résume pas au très grand nombre de commentaires
qui ont été donnés de la pensée du philosophe tout au long du
XXe siècle. Les études qu’on va lire visent à comprendre pourquoi et comment
certains philosophes contemporains, principalement britanniques et
américains, ont repris à leur compte une notion de contrat qu’ils ont
empruntée à Hobbes et pourquoi d’autres se sont opposés à cette reprise,
lui préférant soit une version kantienne du contractualisme, soit un rejet
pur et simple de la notion de contrat en morale et en politique. S’il est indéniable
que ces néocontractualismes marquent le retour en force de la
conceptualité juridique dans la pensée politique, et un éloignement relatif
de l’économie politique, ils traduisent surtout le renouveau de la réflexion
morale en politique.
Mais de quelle réflexion morale s’agit-il ? D’une réflexion soucieuse
avant tout de faire accepter, sur un mode consensuel et au nom de principes
de justice, des dispositifs institutionnels ou des politiques publiques par des
citoyens d’États démocratiques. Cette réflexion morale est donc essentiellement
une réflexion appliquée aux conditions politiques qui sont celles des
démocraties contemporaines. C’est dans cette perspective que l’on peut
comprendre l’importance du thème contractuel, qu’il prenne la forme de la
position originelle de Rawls ou telle autre forme qu’il a pu prendre : il s’agit
dans la plupart des cas – Rawls, Scanlon, Gauthier, Hampton, pour ne citer
que les principaux auteurs dont il sera question – de comprendre les raisons
qui peuvent justifier l’adhésion des citoyens de nos démocraties aux institutions
politiques, économiques et sociales qui sont les leurs, ou, au contraire,
motiver leur refus.
N’est-ce pas là toutefois ce que font déjà les utilitaristes au moyen de
leurs calculs d’utilité ? Certes, mais ce que le contractualisme ajoute à
l’utilitarisme, c’est la prise en compte de ce que certains ont appelé une
« contrainte individualiste », qui interdit de sacrifier les intérêts d’un individu,
fût-ce au profit du plus grand bien du plus grand nombre – ce qu’un
Les Études philosophiques, no 4/2006
utilitariste autorisera parfois. Le contractualiste l’emporte ainsi moralement
sur l’utilitariste, parce que, dans sa réflexion sur la justice des dispositifs institutionnels,
il prend en compte le point de vue de l’individu. Autrement dit,
la notion de contrat permet de conjoindre le souci du nombre – caractéristique
de la pensée politique – et le souci de la liberté individuelle – sans
laquelle cette pensée politique ne saurait être morale.
C’est dans ce contexte théorique particulier que la référence à Hobbes
prend tout son sens, car le modèle de rationalité pratique qu’il propose,
fondé sur le souci de l’avantage individuel et de sa maximalisation, constitue
une formulation réaliste de la contrainte individualiste. Si l’approche kantienne,
qui dote les hommes d’un sens de la justice et d’une personnalité
morale, propose indéniablement une vision plus convaincante de la moralité,
l’approche hobbesienne a le mérite de ne pas oublier que l’individualisme
contemporain n’est pas seulement un idéalisme pratique. Ce qui a
parfois rendu moralement haïssable la philosophie de Hobbes – son individualisme
radical – est aussi ce qui la rend intéressante du point de vue théorique
de la prise en compte du point de vue de l’individu dans le raisonnement
pratique.
Tout au long de la lecture de ce dossier, il conviendra en outre de garder
présent à l’esprit que la question de l’interprétation de la philosophie de
Hobbes ne joue qu’un rôle subordonné chez les néocontractualistes
contemporains, y compris lorsque ces derniers sont également de grands
commentateurs de Hobbes, comme c’est le cas de David Gauthier. L’usage
qu’ils font des concepts hobbesiens, et notamment de la notion d’état de
nature, est un usage théorique, et seulement marginalement un usage herméneutique.
C’est ce retravail novateur et créatif de la conceptualité des Elements
of Law, du De Cive et du Leviathan, qu’il nous a paru intéressant de
mettre en évidence, d’analyser et, le cas échéant, de critiquer, dans les études
ici réunies1.
Luc FOISNEAU, Tom SORELL.
426 Luc Foisneau, Tom Sorell
1. Ces études ont bénéficié du soutien d’un Programme international de coopération
scientifique ( « Hobbes et la philosophie politique du XXe siècle » ), financé conjointement par
le CNRS et la British Academy, qui a également permis la publication de deux volumes collectifs
: L. Foisneau, T. Sorell (eds), Leviathan after 350 years (Oxford, Oxford University Press,
2003), et L. Foisneau, T. Sorell, J.-Ch. Merle (eds), Leviathan between the Wars. Hobbes’s Impact
on Early Twentieth Century Political Philosophy (Frankfurt am Main, Peter Lang, 2005).

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